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Salaberry-de-Valleyfield n’échappe pas à la prostitution

le jeudi 19 avril 2018
Modifié à 15 h 14 min le 19 avril 2018
Par Steve Sauvé

ssauve@gravitemedia.com

Claudia (nom fictif) pratique l’un des plus vieux métiers au monde. Elle est escorte. C’est dans son appartement, situé en plein cœur de Salaberry-de-Valleyfield, qu’elle accueille ses généreux amis comme elle se plait à dire. La dame de 39 ans n’a pas le profil que l’on peut s’imaginer d’une prostituée. Elle avoue que le cliché de la mini-jupe et du bustier ne l’intéresse pas. Elle préfère laisser cela aux plus jeunes. Selon ses dires, c’est le milieu de la prostitution qui l’a choisi et non l’inverse. «Je n’ai jamais fait de vague, assure la native de Trois-Rivières. Adolescente, je réussissais bien à l’école. Par la suite, j’ai étudié en technique d’éducation à l’enfance et c’est pendant mes études au cegep que j’ai rencontré mon conjoint de qui je me suis séparée en 2012.» Claudia dit avoir commencé à se prostituer pour arrondir les fins de mois. «Mon ex-copain travaille comme chargé de projet dans le domaine aéronautique, indique Claudia. Nous avions un rythme de vie assez impressionnant. Comme je ne voulais pas vendre ma voiture neuve et que je souhaitais conserver certains standards, l’argent a commencé à manquer. J’ai donc travaillé un peu comme serveuse dans une brasserie à Laval et c’est là que tout a déboulé.» Le soir où tout a commencé C’est lors d’une soirée où elle travaillait à l’établissement licencié, que Claudia a été abordée pour ses charmes. «Un client que je servais m’a proposé d’agir comme hôtesse dans une soirée privée prévue le lendemain, souligne celle qui insiste sur le fait qu’elle avait servi l’homme à plusieurs reprises. Cela devait me rapporter 300 $ pour quatre heures de travail. J’ai accepté rapidement. J’étais loin de me douter que ma vie allait prendre une tournure aussi bordélique en si peu de temps.» Comme convenu, elle s’est présentée à la soirée. Toutefois, cela ne s’est pas passé comme elle se l’imaginait. «En fait, c’était un gangbang, explique-t-elle. Je vais m’en souvenir toute ma vie. À l’époque j’étais vraiment naïve et je dois avouer que j’étais curieuse. J’aurais pu rebrousser chemin, mais je suis restée. Il y avait deux filles et 13 hommes. On m’a offert de participer et de me donner 500 $ additionnels aux 300 $ proposés. J’ai accepté.» De fil en aiguille, Claudia a délaissé son travail de serveuse et elle a commencé à se prostituer. «Au départ, c’était un client par semaine. Par contre, comme c’est de l’argent gagné rapidement, après trois mois, j’étais déjà rendu à deux clients par jour. C’est un cercle vicieux. Sans même m’en apercevoir, en l’espace de six mois, c’était devenu mon travail à temps complet puisqu’en raison de mes absences répétées à la garderie, j’ai perdu mon emploi.» [caption id="attachment_46866" align="alignleft" width="354"] Claudia est diplômée en technique d’éducation à l’enfance. Cependant, elle travaille comme escorte depuis maintenant cinq ans.[/caption] Battue, violée et menacée Pour Claudia, il n’est pas question de se retrouver légèrement vêtue sur un coin de rue. «Je mettais des annonces dans le journal, laisse savoir Claudia sur sa technique pour solliciter les clients. Un jour, j’ai eu un appel. Un homme voulait un service. Comme je reçois mes clients, il s’est présenté chez moi. Lorsque ça frappé à la porte et que j’ai ouvert, il y avait trois hommes. Ils m’ont agressé physiquement et sexuellement. C’était des proxénètes. Ils m’ont alors dit que si je souhaitais continuer à opérer à Laval, que je devais payer une protection de 150 $ par jour, sans quoi ils allaient revenir.» Craignant pour sa sécurité, Claudia a arrêté de solliciter les clients. Elle refusait même de recevoir ses clients réguliers. «Dès que j’ai été capable, j’ai quitté Laval. J’ai déménagé sur la Rive-Sud, mais les besoins financiers ont refait surface et comme je ne savais pas quoi faire, j’ai recommencé à me prostituer.» [caption id="attachment_46868" align="alignright" width="197"] Selon Claudia, à Salaberry-de-Valleyfield, certaines escortes peuvent gagner plus de 500 $ en une seule journée.[/caption] Lorsque questionnée sur une possible consommation de stupéfiants, Claudia se fait évasive. «J’ai déjà consommé des quantités importantes de cocaïne et de méthamphétamine. Cependant, c’est du passé.  Aujourd’hui, je suis plus calme, mais si un client me fait une proposition, ça peut arriver, mais je préfère ne pas élaborer sur le sujet.» Sollicitation sur le web Claudia s’est établie à Salaberry-de-Valleyfield en 2015. Elle croyait que les choses se replaceraient pour elle à la suite d’une rencontre avec celui qu’elle croyait être l’homme de sa vie. «J’étais venue ici à deux occasions pour les régates, confie-t-elle. J’ai rencontré un gars de qui je me suis follement amourachée. Toutefois, il avait des ennuis avec la justice et depuis deux ans, il est en détention. Il ignore que j’ai recommencé à faire des rencontres coquines.» Afin d’offrir ses services, Claudia publie des annonces dans des sites internet spécialisés pour les gens qui désirent avoir recours à des escortes. «Certains diront que c’est immoral. Ils ont peut-être raison. Pourtant c’est mon choix. Je ne fais pas de mal à personne. Je sais que je ne ferai pas cela encore pendant plusieurs années et qu’un jour je devrais faire un retour sur le marché du travail, mais pour l’instant, ça me convient.» Prostitution juvénile Escorte par choix, Claudia et indépendante, suppose que plusieurs adolescentes sont prises dans l’engrenage du proxénétisme. Selon elle, il est important d’agir. La télésérie Fugueuse n’est pas très loin de la réalité selon Claudia. Elle confesse qu’il lui arrive de recevoir des appels d’hommes qui désirent les services d’une escorte en bas âge. «Dans mes annonces, c’est bien indiqué que je suis une dame mature, confirme Claudia. Toutefois, je reçois parfois des appels afin de savoir si je peux recommander des plus jeunes. C’est déjà arrivé que l’on me demande si j’avais des numéros pour rejoindre des adolescentes. Malheureusement, il y a une demande pour de la chair fraiche. C’est triste.» Prise au piège de ce qu’elle croit être des membres d’un gang de rue à une reprise, Claudia assure que ce genre de bande à la mainmise sur un important réseau de prostitution juvénile pancanadien. «Une adolescente en fugue devient une proie, déplore Claudia. J’ai entendu beaucoup d’histoires d’horreur concernant de jeunes filles. C’est cela qu’il faut dénoncer, pas une travailleuse du sexe comme moi qui travaille sans contrainte et de façon volontaire. Ces jeunes adolescentes sont dans l’obligation de faire des clients. Elles sont souvent battues et malheureusement, elles auront des séquelles à vie. De plus, elles ne conservent pas l’argent. C’est le pimp qui garde les recettes.» Claudia croit qu’il peut y avoir une organisation qui offre ce genre de service dans la région de Salaberry-de-Valleyfield. «On va se dire la vérité. Si ça existe à Montréal, il ne faut pas jouer à l’autruche et croire que ça se limite seulement là, expose-t-elle. Souvent, les gens ne veulent pas voir ce qui se passe sous leur nez. De jeunes adolescentes vulnérables, il y en a malheureusement partout au Québec. En plus, dois-je dire qu’à Salaberry-de-Valleyfield il y a aussi un centre jeunesse? Si des jeunes fuguent de celui de Laval et finissent dans un réseau de prostitution, pourquoi ça serait différent ici?» Du côté de l’organisme Pacte de rue, le responsable confirme que l’organisme côtoie ce genre de réseau sur le terrain.