Société

Savoir reconnaître les comportements qui mènent au féminicide

le lundi 05 avril 2021
Modifié à 12 h 11 min le 01 avril 2021
Par Mario Pitre

mpitre@gravitemedia.com

Les nombreux féminicides perpétrés au cours des dernières semaines au Québec suscitent une réflexion sur ce triste phénomène. Pour Mario Trépanier, avant même de penser à la répression, il importe d’agir en prévention et de reconnaître les signes annonciateurs de tels crimes. Bien que le taux d’homicides intrafamiliaux a diminué de 47% au cours des 30 dernières années, on dénombre tout de même une moyenne de 19 homicides par année en moyenne, au cours des 10 dernières années. Coordonnateur et intervenant à l’organisme Via l’Anse, spécialisé en matière de violence conjugale et familiale, Mario Trépanier estime que le tissu social, l’entourage, font une grande différence dans le signalement de situations de couple potentiellement explosives. Il mentionne d’une part que 75% des homicides familiaux surviennent dans un contexte de séparation, une réalité que plusieurs hommes refusent d’admettre. C’est là un des premiers signes à surveiller, selon lui. À cela, on peut aussi constater une hausse et une amplification des gestes de violence, qu’elle soit physique, psychologique ou sexuelle. Une attitude de possessivité, de jalousie, du harcèlement. Les idées suicidaires doivent aussi être considérées.

Pour un meilleur financement en prévention

Face à la violence conjugale, les efforts sont principalement portés sur la répression, après que les gestes ont été perpétrés. « La répression n’est pas efficace. Même si le message doit être clair de la part des autorités, la réponse doit être socio-judiciaire, estime le coordonnateur de Via l’Anse. Il y a un important déséquilibre actuellement entre prévention et répression. » Selon lui, la répression est un mal nécessaire et crée un faux sentiment de sécurité. Ce n’est sans doute pas ce que les victimes souhaitent. Avec sa petite équipe de 5 personnes, Via l’Anse reçoit plus de 500 nouvelles demandes de consultation annuellement. Plusieurs se retrouvent sur une liste d’attente. « On effectue une première rencontre dans un délai de deux semaines pour s’assurer qu’il n’y a pas de danger immédiat. On ne peut pas se permettre d’en échapper. Mais si ce n’est pas le cas, le dossier peut prendre des mois avant d’être traité. » Pour la majorité des hommes qui se présentent (20% de la clientèle se compose aussi des femmes violentes), on parle d’une aide sous contrainte; c’est-à-dire que le sujet est référé par la police, la DPJ, la conjointe ou les proches. « La plupart reconnaissent les gestes qu’ils ont commis, mais ils trouvent toujours moyen de la justifier, note l’intervenant. Notre rôle, c’est d’établir un lien et de voir à les responsabiliser et faire reconnaître que ces excuses ne tiennent pas. Un travail qui peut prendre plusieurs mois.» Est-ce qu’un homme violent peut changer ? Mario Trépanier assure que oui. « On a un taux de succès de 90% chez ceux qui complètent la démarche, c’est-à-dire environ le tiers des personnes qui se présentent chez nous. Il demeure que cela est plus facile que d’arrêter de boire ou de consommer des stupéfiants. »

Un solide réseau de partenaires dans la région

La pandémie de COVID-19 a provoqué une hausse des cas de violence conjugale. Néanmoins, la région compte sur un partenariat efficace pour agir en prévention. Chez Via l’Anse, on dénote une recrudescence des demandes, particulièrement depuis le mois d’août. Plusieurs facteurs comme l’isolement, la situation financière et le stress sont en cause. « La COVID accentue le contexte de dépendance au sein du couple et entraîne un niveau de détresse qu’on peut constater dans plusieurs organismes communautaires de la région », selon Mario Trépanier. Depuis 2013, plusieurs partenaires de la région ont mis sur pied le programme PHARE (Prévention des Homicides intrafamiliaux par des Actions Rapides et Engagées). Les partenaires impliqués sont, outre Via l’Anse, le centre de crise et de prévention du suicide Le Tournant, les maisons d’hébergement pour femmes victimes de la violence, les CSSS, le Centre de jeunesse, la Direction des services professionnels correctionnels et la Sûreté du Québec. Les répondants ont tous suivi une formation de deux jours de Via l’Anse portant notamment sur l’estimation et la gestion des éléments de risque associés aux homicides intrafamiliaux. Ainsi, une intervention des répondants peut être requise en tout temps, dès qu’on identifie une situation représentant un risque de morts ou de blessures graves. « Le maillage fait toute la différence pour assurer la sécurité des victimes lors de situations de crise », assure Mario Trépanier.