Le Mangeoir à Saint-Anicet : cinq ans d’une table champêtre enracinée et vivante

Marie Daudelin et Guillaume Assselin ont réalisé un rêve en créant leur table champêtre. (Photo Gravité Média)
À Saint-Anicet, en Montérégie, une ancienne écurie de 1865 abrite aujourd’hui l’une des plus singulières tables champêtres du Québec. Le Mangeoir, c’est le projet de vie de Guillaume Asselin et Marie Daudelin, un couple de Montréalais devenus fermiers-hôtes. Cinq ans après avoir quitté la ville pour se consacrer à la terre et à l’accueil, leur table continue de faire parler d’elle, à la croisée de l’autosuffisance et de l’hospitalité.
Une ferme comme socle, la cuisine comme langage
Dès l’arrivée, le ton est donné : ici, tout se vit au rythme de la terre. Le potager est bien rempli, les animaux circulent, et la grange transformée en salle à manger invite à s’attabler dans un décor rustique, sans fioritures. Tout est cultivé, élevé, transformé et cuisiné sur place.
Le couple a développé une autonomie complète en viande – avec, cette année, l’intégration d’un élevage rotatif de bœuf. Les fruits de mer sont absents, par cohérence géographique, mais des options végétariennes et véganes soigneusement pensées trouvent toujours leur place au menu.
« On voulait que chaque bouchée raconte le territoire, sans tricher », confie Guillaume. « C’est notre manière d’être honnêtes avec les gens qui viennent ici. On leur sert ce qu’on cultive, dans tous les sens du terme. »
En cuisine, l’approche est intuitive et précise. Le menu change chaque semaine, guidé par les récoltes. Lors de notre passage, le repas s’ouvrait sur un mocktail herbacé au concombre, mélisse et sirop de rhubarbe. En entrée, une mousse de foie de volaille nichée dans un chou croustillant, surmontée d’une gelée de camerise et d’une fleur de lilas, donnait le ton : celui d’une cuisine à la fois enracinée, poétique et délicate.
Dans une volonté de créer un moment collectif, Guillaume et Marie montent souvent les plats directement devant les convives, au centre de la grange. « C’est comme un rituel qui permet d’incarner notre cuisine », explique Guillaume.
Suivaient une salade d’asperges avec focaccia maison et ricotta onctueuse, puis un tataki de bœuf sur purée de laitue, ponctué de chips de topinambour et de boutons de marguerite. En plat principal, un gigot de chevreau pressé, relevé d’une crème de livèche, accompagné de topinambours rôtis et d’une purée de carotte soyeuse. Le dessert, hommage aux courges du potager, associait cake moelleux, crème glacée au miel et courge, coulis fraise-rhubarbe et crumble de cacao.
Une cuisine sensible, sans tape-à-l’œil, qui dit tout de l’attention portée aux produits et aux gens qui les cultivent.
Vivre, nourrir, accueillir
Mais ce qui rend le Mangeoir vraiment unique, c’est cet équilibre entre la ferme, la table et le lieu d’accueil. On peut y louer le gîte complet, plonger dans la piscine ou simplement s’attarder autour d’un repas, sans horaires pressés.
Pendant la pandémie, Guillaume et Marie ont pu compter sur leur « République du Mangeoir » — famille et proches venus prêter main-forte pour faire tenir la barque. Aujourd’hui encore, cette entraide infuse l’atmosphère du lieu. Loin d’être une simple adresse gourmande, Le Mangeoir est aussi un espace de lien et de transmission.
« Ce qu’on cultive ici, c’est autant la terre que les relations humaines », résume Marie. « On voulait un endroit où les gens puissent se déposer, se sentir accueillis, et reconnecter à quelque chose de plus lent, de plus vivant. »
Une saison à marquer d’une pierre blanche
Le 14 juin prochain, Le Mangeoir fêtera ses cinq ans lors d’un grand rassemblement champêtre. Puis, à partir du 20 juin, les tables champêtres reprendront chaque samedi, en formule "apportez votre vin" – un moment phare de la saison estivale.
Dès la mi-juillet, les Jeudis Franquette inviteront à s’installer dans les champs pour des soupers à la bonne franquette, jusqu’à la fin août. L’automne fera place à une cuisine plus rustique, tandis que l’hiver se vivra à travers des boîtes festives à emporter (Noël, Saint-Valentin, cabane à sucre).
La table champêtre, une autre idée de la restauration
Au Québec, une table champêtre n’est pas un simple restaurant de campagne. C’est une appellation encadrée par Terroir et Saveurs, qui exige que l’établissement soit un producteur agricole actif et que plus de la moitié des aliments servis proviennent de la ferme elle-même. Le Mangeoir dépasse largement ce seuil, atteignant jusqu’à 85 % de produits maison.
C’est donc bien plus qu’un repas qu’on partage ici. C’est une immersion dans un écosystème agricole et humain, une hospitalité qui flirte avec le politique, une façon de cultiver le vivant autant que les relations.