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Il y a 50 ans, la technologie québécoise touchait le sol lunaire

le mercredi 17 juillet 2019
Modifié à 10 h 29 min le 17 juillet 2019
Par Mario Pitre

mpitre@gravitemedia.com

Les premières jambes à se tenir sur la Lune il y a 50 ans n’étaient pas celles de Neil Armstrong. Ce sont plutôt celles de l’entreprise Héroux Machine Parts – maintenant Héroux-Devtek – qui a construit les pattes du train d’alunissage. Éric Therrien, ingénieur pour l’entreprise de Longueuil depuis 30 ans, revient sur ce contrat de 340 000$ qui représente encore à ce jour la marque de commerce de l’entreprise. Q Pourquoi un contrat aussi important pour les États-Unis a-t-il été donné à Héroux-Devtek plutôt qu’à une entreprise américaine? R Ce qu’on sait, c’est qu’il y a une entreprise qui avait essayé de fabriquer les pattes du train d’alunissage, sans succès. Comme on fabriquait déjà des trains d’atterrissage pour Grumman Aircraft [chef de projet du module Apollo], ils sont venus chez nous, tout simplement. Ils ont dit: on est mal pris, pouvez-vous nous aider? On a fabriqué 60 pattes pour 15 modules lunaires sur un petit peu moins de 2 ans, en 1966 et 1967. Q À l’époque, Héroux-Devtek n’était pas nécessairement équipée pour répondre à ce contrat, n’est-ce pas? Comment les ingénieurs s’y sont-ils pris? R On n’a pas fait la conception de la jante de train comme telle. On avait des dessins de Grumman, donc ce sont probablement les ingénieurs comme Jim Chamberlin et Owen Maynard qui ont participé à leur conception. Nous, on avait la tâche de fabriquer la pièce. Le génie est venu non pas dans la conception, mais dans la fabrication. Il fallait d’abord utiliser ce qu’on avait déjà pour voir si on était en mesure de répondre aux tolérances des dessins. Par la suite, comme ça ne fonctionnait pas, c’est là qu’est venue l’ingéniosité canadienne. Nos ingénieurs de fabrication se sont mis à l’œuvre pour trouver des méthodes différentes. Au lieu d’usiner une pièce à l’horizontale, on l’a mise à la verticale. Ça changeait tout l’outillage qu’on avait. Puisqu’on a fabriqué ça dans une cellule très flexible, on a pu faire des ajustements rapides pour trouver les bonnes méthodes de fabrication. [caption id="attachment_67072" align="alignnone" width="444"] Un gros plan d’une des pattes du module lunaire Eagle. (Photo: NASA)[/caption] Q À quels défis les ingénieurs ont-ils été confrontés? R C’était un défi d’usinage et de précision puisque tout ce qui est envoyé dans l’espace a un poids très critique. Les pièces devaient être les plus légères possibles. Pour chacune d’entre elles, il y avait un poids maximum très précis à respecter. C’était du jamais fait, c’était un type d’aluminium qui était tout nouveau pour nous, donc, on ne savait pas comment ça réagirait à l’usinage. Il y a également eu énormément de changements de dessins. Les ingénieurs de conception faisaient des modifications et nous devions nous ajuster. Q Combien d’employés ont travaillé à la fabrication des pattes du module lunaire? R Selon Gaston Bernier, qui était inspecteur à l’époque, il n’y avait qu’une poignée de personnes qui étaient au courant du projet. C’était dans une petite cellule de travail très flexible. Il y avait une personne qui usinait, une personne qui inspectait, un peu de plaquage, de la peinture… Du côté canadien, ce n’est pas tout le monde qui était conscient que les États-Unis voulaient aller sur la Lune, et encore moins qu’Héroux-Devtek était impliquée dans cette histoire. Mais c’est certain qu’on en a bénéficié par la suite; on a fait de la publicité dès qu’on a pu en faire. Q Encore à ce jour, c’est un fait un peu méconnu. Qu’est-ce que cet accomplissement représente pour l’entreprise, pour vous qui êtes ingénieur depuis 30 ans et pour Longueuil en général? R On met toujours ça en avant-plan. Après la création d’Héroux-Devtek en 1942, la fabrication de ces fameuses pattes est le deuxième événement le plus marquant pour l’entreprise. On amène souvent une des pattes dans les salons d’aéronautique et on la prête au Centre des sciences de Montréal. C’est une fierté qu’on va conserver à tout jamais. On est devenu des partenaires de l’impossible. C’est une carte de visite incroyable. Notre notoriété a été établie à ce moment-là. On a continué et aujourd’hui, nos clients sont mondiaux; des Boeings, des Airbus, les armées canadienne et américaine… [embed]https://www.dailymotion.com/video/x7dg483[/embed] Quelques faits sur le module lunaire Apollo -10 modules lunaires ont été envoyés dans l’espace; le premier lancement a eu lieu le 22 janvier 1968 (Apollo 5)et le dernier, le 7 décembre 1972 (Apollo 17). -Des 10 modules lunaires envoyés dans l’espace, 6 ont aluni, 3 ont été utilisés pour des tests préparatifs et 1 a servi de «véhicule de secours» pour l’équipage d’Apollo 13, après que l’explosion d’un réservoir d’oxygène ait mis hors service leur module de commande. -Les étages de descente des 6 modules qui ont aluni se trouve toujours sur la Lune. -L’étage de remontée d’Apollo 10, qui a exécuté un vol à basse altitude autour de la Lune, dernière «pratique» avant l’alunissage d’Apollo 11, est le seul étage de remontée qui existe toujours; il se trouve en orbite autour de la Lune depuis le 23 mai 1969. -Chaque module lunaire mesurait 7,04 mètres de haut, 9,4 mètres de large et 9,4 mètres de profondeur, avait un volume était de 6,7 mètres cubes et un volume habitable de 4,5 mètres cubes. Le compartiment dans lequel prenaient place les astronautes mesurait seulement 2,34 mètres de haut et 1,07 mètre de profondeur. «Un effort incroyable d’imagination» «Ça démontre à quel point il n’y a pas de limite à l’imagination humaine, souligne l’astronaute David Saint-Jacques, à propos du voyage historique d’Apollo 11. À quel point, lorsqu’on se permet de rêver, on peut transformer les rêves en réalité. Apollo, c’était ça. C’était un rêve fou, un projet absolument impossible à l’époque, mais qui a été rendu possible. À mes yeux, c’est un incroyable effort d’imagination.» «C’est facile de penser à des inventions ou à des exploits comme étant des choses intangibles et surhumaines, mais non, c’est toujours le résultat de l’imagination de quelqu’un, a-t-il poursuivi. Apollo, c’est un exemple personnel qui m’a guidé, qui m’a enseigné que c’est correct d’avoir des rêves absolument fous et impossibles parce qu’un rêve, c’est surtout une direction. Ce n’est pas grave si tu n’y arrives pas, ce n’est pas ce qui détermine si c’était un bon ou un mauvais rêve. Ce qui le détermine, c’est s’il te fait avancer, progresser, t’améliorer, découvrir, améliorer ton existence et celle des autres. Apollo, je pense que tous les êtres humains peuvent en être fiers, d’avoir eu l’audace de ce défi absolument fou.» Une expérience inoubliable Gaston Bernier, 84 ans, était inspecteur chez Héroux-Devtek à l’époque où le train d’alunissage a été confectionné. De toutes ses années au sein de l’entreprise, il s’agit du plus beau contrat sur lequel il a eu l’occasion de travail, affirme-t-il. [embed]https://www.dailymotion.com/video/x7dg484[/embed] «On a eu des problèmes de fabrication, explique-t-il. On n’avait pas les machines numériques d’aujourd’hui. Dans le temps, c’était fait à la mitaine. Mais on a bien réussi quand même.» Très peu de gens, tant à l’interne qu’à l’externe, étaient au courant de l’utilisation qui serait faite de ces pièces. «Ç’a été caché pas mal, affirme M. Bernier. On ne pensait jamais que ça irait aussi loin!» «Pour la compagnie, ç’a été spécial, estime-t-il. C’est là qu’elle a commencé à grossir.»