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Des personnes isolées en raison de leurs méconnaissances technologiques

le jeudi 14 janvier 2021
Modifié à 15 h 05 min le 13 janvier 2021
Par Katherine Harvey-Pinard

kharvey-pinard@gravitemedia.com

Alors que les Zoom, Team, Facetime, Skype et compagnie prennent de plus en plus de place au quotidien, un organisme de La Prairie, l’Avant-garde en santé mentale, lève le voile sur une réalité trop souvent oubliée; la fracture numérique, c’est-à-dire ce fossé qui se creuse entre les personnes qui maîtrisent les technologies et celles qui ne savent pas comment les utiliser. Le Reflet s’est entretenu avec des intervenants de l’Avant-garde, en décembre, alors qu’il venait tout juste de commencer ses nouveaux ateliers Super techno destinés aux gens victimes de cette problématique. C’est après avoir distribué des tablettes à ses membres grâce à une aide financière du député de La Prairie, Christian Dubé, que l’organisme a vraiment pris conscience du problème. Les intervenants ont vite réalisé qu’au-delà de l’outil technologique, c’est son utilisation qui demeure l’enjeu principal. Des 40 membres, seulement 10 étaient rejoignables au cours des derniers mois. «Il y a certains de nos membres qui, à l’heure actuelle, n’ont pas de téléphone. La seule façon de palier l’isolement, c’était de leur montrer comment se connecter à Internet», explique Maria Eloueldrhiri, intervenante. «En ce moment, c’est la priorité», ajoute la directrice, Connie Bleau. Peu de ressources Selon Mme Bleau la pandémie n’a fait que mettre en lumière une réalité qui était déjà bien présente. «C’est le développement des services au Québec qui fait que tout est en ligne et centralisé, explique-t-elle. Il ne faut pas penser que ce sont juste les gens démunis qui font face à la fracture numérique. Ce sont, oui, des personnes âgées, mais aussi des jeunes en rupture avec ces systèmes.» Ces personnes sont laissées à elles-mêmes, alors que très peu de ressources sont à leur disposition. «Avant, on comprenait la “matante” qui avait peur du téléphone, mais aujourd’hui, c’est comme si c’était supposé de rouler tout seul, poursuit Mme Bleau. On se développe comme société et eux restent dans la boucane en arrière et ne sont pas capables de s’adapter.» Commencer à la base La fracture numérique est plus que le manque de moyens pour se munir d’un appareil, fait savoir l’organisme. «Il faut tout leur apprendre, affirme Mme Bleau. Les gens voient l’ordinateur et sont impressionnés et chamboulés. Quand on leur demande de l’ouvrir, ils ont des inquiétudes.» Via ses ateliers, qui ont lieu tous les lundis à 13h30 et sont ouverts à l’ensemble de la communauté, l’Avant-garde cherche à leur venir en aide. Au fil des semaines, les participants y apprennent entre autres à se créer une adresse courriel, à trouver des informations fiables sur la santé, à faire une recherche Google et à communiquer virtuellement. L’organisme a d’ailleurs ajouté à son équipe deux intervenantes dont la mission est de rejoindre le plus de personne possible par l’entremise des dépliants, la poste et autres initiatives.
«La pauvreté engendre des difficultés, mais le problème est plus grand que ça. Je pense qu’il y a des gens complètement fonctionnels dans la vie, mais qui paniquent devant un ordinateur.» -Connie Bleau, directrice de l’Avant-garde
«C’est où ça, en ligne?» Un membre de l’Avant-garde ayant pris part au premier atelier Super techno, Michel Durocher, a accepté de s’ouvrir sur sa façon de vivre la fracture numérique. «C’est de l’inconnu pour moi, dit-il. C’est envahissant. C’est intimidant un peu aussi. Je me dis que je suis nul. Je ne connais absolument rien là-dedans. J’ai peur de faire des erreurs, d’effacer des données dans mon ordinateur. Ça pèse lourd dans ma confiance.» Âgé de 66 ans, M. Durocher a souvent dû demander de l’aide, que ce soit en appelant un intervenant ou en allant cogner chez un voisin. «Tout le monde dit que c’est tellement facile… Tu te sens encore plus poche de dire que tu ne comprends rien, déplore-t-il. Juste les mots “allez en ligne”. C’est où ça, en ligne? C’est la ligne au milieu de l’écran, ou qui encadre le portrait? Dans le fond, ça veut dire Internet.» Même si les ateliers le rendent nerveux, ils lui permettront de développer ses compétences numériques. «J’ai hâte d’être capable de dire que ce n’est pas si pire que ça», lance-t-il.