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Une hausse de 15 % qui fait des vagues à Beauharnois

le vendredi 07 décembre 2018
Modifié à 13 h 48 min le 07 décembre 2018
Par Mario Pitre

mpitre@gravitemedia.com

Michel Thibault - Gravité Média - Après avoir profité de légères baisses pendant quatre ans puis d’un gel en 2018, les propriétaires de Beauharnois verront leur compte de taxes municipales bondir de 15 % en 2019. Le plan de match de l’administration précédente pour réduire la facture jusqu’en 2020 ne tenait pas la route, selon le maire actuel Bruno Tremblay, qui a présidé une assemblée spéciale houleuse d’adoption du budget le 4 décembre. La salle du conseil était comble pour l’occasion. Plusieurs citoyens n’ont pas manqué d’exprimer leur mécontentement. Les élus ont défendu leur décision, parfois en termes religieux. 350 $ de plus Avec les nouveaux taux d’impôt foncier et de taxes adoptés le 4 décembre, le propriétaire d’une maison de la valeur moyenne de 224 500 $ recevra une facture de 2482 $ de la Ville de Beauharnois en 2019 comparativement à 2158 $ en 2018. Ce qui représente 324 $ de plus. Comment expliquer cette hausse alors que l’ancien maire Claude Haineault annonçait en décembre 2016 une 4e baisse de suite de l’impôt foncier en assurant que «la situation financière de la Ville est excellente et elle sera de plus en plus excellente» ? Il prédisait des baisses jusqu’en 2020. Seul conseiller à voter contre le budget, Guillaume Lévesque-Sauvé, qui était en poste les années précédentes, a rappelé les affirmations de M. Haineault et a reproché à Bruno Tremblay de ne pas poursuivre son plan. Chose qu’il avait promise aux citoyens pour se faire élire, a affirmé M. Lévesque-Sauvé. «Je suis amèrement déçu. Pendant huit ans, une firme de vérification comptable nous disait, année après année, que la situation financière de la Ville était exceptionnelle, enviable, incomparable. Les chiffres demeurent quelque chose d’idéologique. Ce n’est pas une vérité absolue, les chiffres qu’on voit ici. J’ai voté contre ce budget-là car il n’est pas visionnaire. Les revenus d’Ikea ne sont pas comptabilisés. Même chose avec les ventes de terrains. On les vend pas cette année, ce sera l’an prochain. On a eu Ikea. On a eu Ikea, jamais je ne le dirai assez», a-t-il affirmé. Le conseiller a fait part qu’il avait appuyé la candidature de M. Tremblay durant la campagne électorale de 2017. «J’ai travaillé avec vous. On a eu des rencontres avec M. Haineault. Chez vous. Le plan Beauharnois 20/20 était donc magnifique. Ça marchait. Ça allait vers la continuité. À la suite de l’élection qu’est-ce qui s’est passé ? Ou vous n’avez pas dit la vérité en campagne électorale, ou bien vous ne comprenez pas la pleine extension de ce qu’on était en train de faire. Ça m’attriste qu’on ne fasse pas ce qu’on avait promis qu’on ferait. C’est pourquoi je vote contre » a-t-il exprimé. Son intervention a été applaudie. Le plan de l’ancien conseil consistait à acheter des terrains, les doter d’infrastructures et les revendre pour y voir pousser usines et maisons. La vente de terrains et les nouvelles constructions devaient gonfler les revenus de la municipalité. Ses investissements financés par des emprunts alourdissent par contre sa dette. Manque à gagner «Je ne sais pas où il avait pris ses chiffres, a exposé le maire Tremblay concernant son prédécesseur. Pour payer les dépenses ordinaires en 2018, il fallait escompter la vente de 6,7 M $ de terrains du parc industriel, qui sont aussi hypothéqués. Ça aussi été le cas en 2017. Et vous le voyez encore dans le budget 2019, faut encore compter là-dessus pour le boucler. Plusieurs choses nous amènent à constater ça. Premièrement, le service de la dette a plus que doublé à l’intérieur des deux dernières années. C’est des dépenses supplémentaires. On compte les revenus d’Ikea mais ils ne se manifesteront pas avant 2020. Ils ne seront pas à la hauteur de compenser le manque à gagner actuellement.» Les revenus supplémentaires provenant de la vente de terrains et de nouvelles constructions ne sont pas à la hauteur des prévisions, ce qui place la ville dans une position difficile, a laissé entendre le premier magistrat. Par exemple, le projet commercial Espace 30 Beauharnois annoncé en 2013, comportant un hôtel, une station service et des magasins, n’est toujours pas concrétisé, à l’exception d’un édifice à bureaux. «On n’a pas d’espérance qu’il y aura d’autres édifices dans le secteur à court terme», a mentionné Bruno Tremblay. Pour payer ses factures jusqu’en février 2019, la municipalité a porté sa marge de crédit de 4 à 12 M $, a-t-il rappelé. «Quand t’arrives à la fin du mois et que tu n’as pas d’argent t’es obligé d’aller en chercher. Ça c’est la vérité !», a lancé Bruno Tremblay. Une affirmation applaudie. Le conseiller Alain Savard a exposé : «On avait un trou budgétaire de 8 M $. Moi aussi je me donne une augmentation de taxes. L’augmentation de taxes c’est pour soutenir le développement économique et rembourser la dette. Cette année, on aurait eu un trou budgétaire énorme. C’est pour cette raison que j’ai accepté le budget». Taxes et coupes de postes Pour boucler son budget de 25 M $ en 2019, la Ville n’avait pas le choix d’augmenter le fardeau fiscal de ses citoyens, a insisté le maire. La Ville a aussi coupé 18 postes pour joindre les deux bouts. L’administration précédente en avait créé plusieurs pour servir une population en croissance, avec une cible de 20 000 résidants en 2020. À un an de l’échéance, Beauharnois compte 13 110 âmes. Retour à 2013 La Ville fait valoir que les baisses de taxes «ont été néfastes pour ses finances». Elle plaide que le taux de 2019 se rapproche de celui d’avant les diminutions en 2013. La différence pour une propriété d’une valeur moyenne entre le taux de 2013 et celui de 2019 est de 155 $, calcule le conseil municipal, soit 2327 $ et 2482 $. «Cet écart de 155 $ correspond à une augmentation moyenne des taxes annuelles de 1,1 % pour la période de 2013 à 2019, soit 26 $ par année», observe le conseil. «Ça aurait été mieux d’augmenter les taxes de 2 % par année à partir de 2014», a fait valoir Bruno Tremblay en assemblée. 25 % envisagé Au départ, la hausse présentée par la direction était de 25 %, a révélé la conseillère Linda Toulouse, elle aussi membre de l’ancien conseil mais en faveur du budget. «On ne voulait pas les 25 %. On s’est battus jusqu’à la fin. On n’a pas été capables d’aller plus bas que 15 %. Alors je pense que comme conseillère, j’ai fait une crisse de bonne job !», a-t-elle réagi face aux critiques. «On a travaillé comme des débiles mentals (sic). Pensez-vous qu’on est bien heureux de ça icitte à soir?», a renchéri M. Savard, qui figure parmi les nouveaux élus en 2017. «Ça aurait été mieux d’augmenter les taxes de 2 % par année à partir de 2014», a fait valoir Bruno Tremblay. Il a observé que la hausse était «dramatique» mais que Beauharnois faisait toujours bonne figure au chapitre de l’impôt foncier. «Si on se compare aux autres, on reste compétitifs. On était 2e meilleur marché dans la région. Nous serons les 3es», a dit le maire Tremblay. Mouvement de protestation La hausse passe mal auprès de plusieurs citoyens. Certains ont indiqué sur les réseaux sociaux vouloir lancer une pétition électronique et manifester à la réunion du 18 décembre des élus pour les faire reculer. «La résistance se prépare. On ne va pas se laisser faire», a indiqué un résident mécontent au journal. «Irrégularités» L’administration de l’ancien maire Haineault est pointée du doigt dans une lettre datée du 29 novembre du Commissaire à l’intégrité municipale et aux enquêtes, du ministère des Affaires municipales. À la suite d’une plainte, le Commissaire Richard Villeneuve indique dans sa missive envoyée à la Ville qu’«aucune somme provenant de la vente de terrains» à Ikea «n’a été affectée en réduction de l’emprunt» de 30 M $ pour acheter des terrains d’Hydro-Québec et les doter d’infrastructures. «L’intégralité de cette somme a plutôt été versée par l’ancienne administration au fonds général de la Ville et utilisé à d’autres fins», écrit le commissaire. Selon la loi, informe la lettre, l’argent aurait dû servir à rembourser une partie de l’emprunt. La municipalité doit corriger la situation. «Nous invitons la Ville à consulter ses conseillers juridiques et ses comptables afin de déterminer les correctifs à mettre en oeuvre pour se conformer à ses obligations légales», avise le Commissaire. À la suite de son arrivée à la mairie, Bruno Tremblay avait reproché à l’administration précédente de ne pas avoir utilisé l’argent provenant de la vente de terrains pour diminuer les emprunts de la Ville, une exigence de la loi, avait-il soutenu. En entrevue au Soleil de Châteauguay, en juin 2018, Claude Haineault avait réfuté ses affirmations. Selon lui, il n’avait pas à rembourser les emprunts de 30 M $ pour les infrastructures au fil de la vente de terrains mais sur un horizon de cinq ans. Une formule tout à fait conforme aux lois, avait-il assuré. Le Commissaire questionne aussi la vente par l’ancienne administration d’un immeuble au prix d’un dollar «sans exiger de contrepartie» et qui «n’aurait pas fait l’objet d’un avis public». Selon la loi, l’aliénation de tout bien par une municipalité doit se faire à titre onéreux, observe-t-il. Le Commissaire précise, cependant, que seul un tribunal pourrait se prononcer sur la légalité de la vente.