Santé

La fin d’une époque : le Centre médical d’Ormstown ferme définitivement

le lundi 12 avril 2021
Modifié à 15 h 58 min le 10 avril 2021
Par Mario Pitre

mpitre@gravitemedia.com

Le 31 mars, la porte du Centre médical d’Ormstown a été fermée pour la dernière fois. Pour l’instant, on ne sait toujours pas ce qu’il adviendra de cet espace qui a vu passer une grande partie de la population de la région par sa porte, à un moment ou à un autre. Le récent déménagement des services médicaux non-urgents à la nouvelle Clinique Médicale Ormstown, sur la rue Isabelle, était en fait le deuxième changement de lieu pour l’établissement de santé. Le bâtiment attenant à l’extrémité est du Barrie Mémorial a été construit en 1957, mais avant cela, les Dr Murray Stalker et James Quintin exploitaient une petite clinique à partir de ce qui était à l’époque une maison privée sur la rue Lambton, où le bureau de poste de Ormstown se trouve actuellement. Le Dr Stalker a commencé à pratiquer la médecine dans la région dans les années 1920, traitant même certains patients à son domicile où il était « disponible 24 heures par jour, sept jours par semaine », selon les informations fournies par le Dr Tom Vandor. À l’époque, les visites à domicile faisaient également partie du quotidien du Dr Stalker. explique le Dr Tom Vandor : « Avec l’aide de son infirmière, Hilda Bryson, il a sillonné la campagne avec son calèche et faisait de tout ; de l’accouchement à domicile au traitement des otites ». Bien qu’il soit physiquement rattaché et inextricablement lié à l’Hôpital Barrie Memorial, le centre médical appartenait à une société à but non lucratif dont les médecins agissaient comme administrateurs. La construction de l’immeuble a été financée par une combinaison de dons et de prêts de citoyens de la communauté, et le titre de propriété leur avait été octroyé par l’hôpital. Les médecins étaient responsables de l’entretien, du personnel et des opérations quotidiennes de l’établissement. Dans les faits, le centre médical n’était qu’une clinique de petite ville, mais elle était beaucoup plus avant-gardiste que l’on pourrait le croire, notamment par sa construction ainsi que par sa gestion. Dans un album publié en 1989 par la municipalité d’Ormstown célébrant le centenaire de la ville, on souligne que « le plan général du bâtiment, à petite échelle, a été emprunté à la Mayo Clinic, que le Dr Murray Stalker avait visité à plusieurs reprises ». Selon Nadia Geukjian, la veuve du Dr. Greg Geukjian, le centre médical avait également des liens étroits avec la Faculté de médecine de l’Université McGill, et cette dernière a été une source importante d’information pour la médecine rurale. Elle dit que le centre médical et le Barrie n’étaient « pas juste un petit hôpital de campagne, mais [plutôt] une aile d’hôpital de Montréal ». Les médecins d’Ormstown ont également pris des dispositions pour que des spécialistes visitent la clinique régulièrement afin d’éviter aux patients locaux d’avoir à faire le voyage vers la ville. Une autre caractéristique remarquable du centre médical était la solidarité entre ceux qui y travaillaient. Le Dr Vince Blonde, qui a commencé à pratiquer la médecine à Ormstown en juillet 1980, dit que l’équipe était « plus comme une famille » qu’un groupe de collègues, et qu’il y a eu « beaucoup de rires » au fil des années. La collaboration professionnelle entre les médecins faisait également partie intégrante de la clinique. « Nous nous sommes beaucoup supportés en matière de médecine », dit-il, ajoutant que l’atmosphère unique du centre « provenait des gens qui l’ont démarré ». Le Dr Blonde faisait d’ailleurs partie de l’un des groupes de médecins qui sont arrivés pendant les « années intermédiaires » du centre médical. En 1974, le Dr Kevin Brissette a été invité à se joindre aux médecins du centre, car davantage de praticiens bilingues étaient nécessaires pour mieux desservir la communauté. Le Dr Brissette deviendrait éventuellement directeur du centre avant de décéder en 2009. Sa veuve Jocelyne Brissette se dit « très consciente du bien-être de chaque membre du personnel, et qu’elle a de très bons souvenirs de la belle dynamique entre les médecins et le reste du personnel ». Lorsqu’on lui demande l’opinion du Dr Brissette à l’égard du centre, elle confirme qu’il adorait son travail. Viviane Émond, qui a travaillé à la réception pendant 56 ans, dit qu’elle garde de merveilleux souvenirs des années qu’elle a passé dans l’équipe. « Il y avait toujours de la camaraderie et du respect les uns envers les autres ». Elle dit qu’elle ne se rappelle pas d’un jour où elle n’avait pas hâte d’aller travailler : « J’adorais me lever le matin et aller travailler! Je ne serais pas restée si longtemps si ce n’avait pas été le cas. » Ce sentiment est partagé par Agnes McKell : « C’était comme une deuxième maison », admet celle qui a travaillé au centre pendant 43 ans. Le professionnalisme et le dévouement envers la communauté demeurent au cœur de l’histoire du centre. Ainsi, Viviane Émond se souvient d’une journée où une énorme tempête de neige avait forcément cessé toute activité dans la région, mais elle s’est quand même déplacée sur le banc arrière d’une motoneige pour se rendre au travail. L’aspect social au sein du groupe était aussi très important ; c’était même « une très grande partie du fonctionnement du centre médical », confirme Nadia Geukjian. Les médecins et le personnel se réunissaient souvent pour jouer au golf ou tout simplement pour partager un repas. Brissette affirme que ce lien ne se limitait d’ailleurs pas à ceux qui travaillaient ensemble au centre médical. Après sa retraite, le Dr Gordon Thompson a continué de se joindre aux sorties sociales, et le Dr Marc Hétu, qui travaillait principalement à la clinique médicale de Saint-Chrysostome, était souvent présent également. Brissette dit que c’était comme « une merveilleuse famille ». Le sort de l’édifice du centre médical est maintenant entre les mains du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSSMO) de la Montérégie-Ouest. Catherine Brousseau, agente des relations avec les médias au CISSSMO, affirme que l’organisme « évalue actuellement diverses possibilités d’investissements afin de restaurer l’ancien centre médical d’Ormstown. Des discussions sont en cours concernant la modernisation des lieux… le tout en vue d’améliorer les services qui seront offerts à la population. Une analyse devra également être effectuée afin d’identifier les besoins de l’Hôpital Barrie Memorial et les services cliniques qui pourraient être transférés dans cet immeuble ». Le Dr Vandor parle de la « fin d’une époque ». Émond estime qu’elle et d’autres « perdent un peu de nous-mêmes ». Cependant, malgré la tristesse, il y a des décennies de merveilleux souvenirs à chérir. Comme le dit McKell, « nous avons beaucoup pleuré, mais nous avons ri beaucoup plus souvent ».