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La juge Perron coupable… de répondre à nos questions

le vendredi 20 novembre 2015
Modifié à 0 h 00 min le 20 novembre 2015
Par Steve Sauvé

ssauve@gravitemedia.com

Au premier jour de sa retraite, l’ex-juge Odette Perron était de passage dans les bureaux du Journal Saint-François. C’est une dame souriante, calme et d’une grande gentillesse qui a bien voulu répondre à nos nombreuses questions.

Vous avez pratiqué le droit pendant 40 ans, 19 ans comme avocate et 21 comme juge. Est-ce que vous trouvez que la justice a beaucoup évolué depuis vos débuts?

«Énormément. Lorsque j’ai commencé à plaider, la Charte des droits et libertés n’existait pas. Elle est entrée en vigueur il y a une trentaine années. Donc, il n’y avait pas autant de contestation. Ce qui a changé aussi, c’est qu’à mes débuts dans la profession, on faisait de tout. Maintenant, les avocats sont spécialisés.»

En 2000, lors d’un discours au Club Rotary, vous avez mentionné que la plus importante cause (médiatisée) que vous aviez entendue était celle de Ron Carrière, accusé de délit de fuite ayant causé la mort. Est-ce toujours le cas?

«Oui c’est la plus médiatisée. À l’époque, j’avais seulement quatre années d’expérience comme juge. Ce dossier a fait changer la législation puisque la peine maximale imposable pour un délit de fuite causant la mort était de deux ans. J’avais fait savoir que ce n’était pas assez pour ce genre d’accusation. J’avais imposé 18 mois de détention ferme à M. Carrière, alors que l’emprisonnement avec sursis dans la collectivité était possible pour ce genre d’accusation à l’époque. Par la suite, la loi a été changée. En 2001 ou 2002 le Code criminel a été amendé pour amener la peine maximale de ce genre d’accusation à 14 ans et en 2008 ou 2009, ça a changé pour une peine à perpétuité.»

Votre père était juge. Vous l’êtes devenue. Est-ce le champ du cygne pour votre famille ou vous avez un enfant qui pratique le droit?

«Un de mes fils est avocat et ingénieur. Cela fait en sorte que son bagage lui permet d’exercer à titre d’avocat en propriété intellectuelle. Ce n’est pas un plaideur et je ne sais pas s’il fera du criminel un jour, mais je suis bien contente que le sang juridique soit passé jusqu’à lui.»

Dans le cadre de vos fonctions professionnelles, il vous était interdit de vous impliquer dans la collectivité comme membre d’un conseil d’administration ou porte-parole auprès d’un organisme. Est-ce que la situation est appelée à changer? Même que les appuis pour Odette Perron en politique seraient sûrement importants.

«Le code de déontologie ne me le permettait pas. Cependant, je ne crois pas que je vais m’impliquer en politique. Je fais partie d’un programme pour former des juges anglophones en français juridique. C’est un programme du gouvernement fédéral qui est implanté depuis cinq ans. Je m’en vais sous peu à Winnipeg pour préparer le prochain séminaire. Également, je me suis fait suggérer de prendre un recul d’un an et je compte bien le faire.»

 

Vous avez déjà mentionné que la réalité d’un juge en région n’était pas la même que pour un magistrat à Montréal, vu la proximité des gens. Est-ce que vous avez déjà craint pour votre sécurité?

«Cela est arrivé une fois et je m’en souviens très bien. C’était un homme qui souffrait de problèmes de santé mentale. Il avait frappé sur ma voiture. J’ai porté plainte. J’ai vraiment eu peur pour moi et pour ma famille. Par contre, je dois aussi ajouter que je me suis fait souvent aborder par des gens dans la rue. Ceux-ci me remercient. Ils ont pris le droit chemin et ils sont fiers de me dire qu’ils sont désormais sur la bonne voie.»

Est-ce que vous avez une idée du nombre de causes que vous avez entendues?

«Je n’ai aucune idée. J’ai entendu des milliers de dossiers. Par contre, j’ai 2382 jours d’inscrits dans mon livre de juge. Certains jours, un juge peut entendre plus de 100 dossiers. Il est impossible d’avoir un compte exact.»

Il arrive qu’une personne fasse affaire à la justice plus d’une fois. Comment faisiez-vous pour entendre une cause d’un multirécidiviste sans avoir en tête toutes ses autres comparutions?

«Je m’en rappelais très bien. D’ailleurs, je le dis toujours à la personne que je me souvenais d’elle. J’offrais alors à la personne la possibilité de comparaitre devant un autre juge. Toutefois, personne n’a jamais retenu cette alternative. Cependant, je n’ai jamais fait deux fois un procès avec le même accusé.»

On entend souvent des gens affirmer que le système judiciaire n’est pas assez sévère. Avec votre expérience, est-ce qu’il l’est?

Les juges sont des gens qui sont en mesure d’analyser toutes les circonstances atténuantes et aggravantes avant de prononcer une peine. La sévérité vient du prononcer de la peine. Malheureusement, l’ancien gouvernement fédéral nous a attaché les poings en imposant les peines minimales et nous a empêchés d’exercer la fonction principale qui est la nôtre. Soit l’article 718 du Code criminel. Lorsqu’on a la preuve que le facteur de dissuasion est intervenu, il faut en tenir compte. Je persiste à penser que des jeunes qu’on envoie en détention fermée vont plus apprendre en détention que d’être réintégré dans la société.»

Le premier ministre Justin Trudeau a promis de légaliser la consommation de cannabis. Quel est votre opinion à ce sujet?

«Je suis totalement contre. Le cannabis, c’est la porte d’entrée pour toutes les autres drogues. Les statistiques démontrent que les deux états américains (Orégon et Colorado) qui ont légalisé le cannabis ont vu leur taux d’accidents causant la mort quintupler depuis la légalisation. Je pense que s’il n’y avait pas de drogue, le système judiciaire n’aurait rien à faire. C’est subjacent à toute la criminalité. L’alcool c’est un fléau, mais ça s’élimine. Mais le fléau de la méthamphétamine c’est très grave. On en voit de plus en plus en 10 ans. Les fraudes, les vols et même des voies de fait, c’est pour de l’argent qui servira à la drogue.»